« La globalisation: déclin ou nouveau départ ? Un regard suisse »

Berna, 21.11.2016 - Discours de Monsieur Johann N. Schneider-Ammann, Président de la Confédération

Mesdames et Messieurs,

Avant de commencer, permettez-moi d’avoir une pensée émue pour votre ancien président, M. Luzius Wasescha. Pendant de longues années, il a été un des principaux architectes de notre politique commerciale extérieure. Forte personnalité, d’une grande culture et d’une grande générosité, il a marqué notre diplomatie commerciale et largement contribué à la prospérité de notre pays. Et dans la situation que nous vivons actuellement, nous aurions sans doute tous souhaité entendre ce que lui aurait eu à dire.

Quand j’ai choisi le titre de mon exposé, je ne pensais pas que le résultat des élections américaines lui donnerait une telle actualité.

J’avais en tête les positions de campagne des candidats.

NAFTA, l’accord de libre-échange de l’Amérique du nord qui réunit les Etats-Unis, le Canada et le Mexique est selon Donald Trump – je cite - « la plus mauvaise affaire que les Etats-Unis n’ont jamais faite ».  Et le Partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP) négocié par l’administration Obama est même un « viol » du pays. En quelques semaines, Donald Trump a fait exploser l’orthodoxie libre-échangiste des Républicains.

Hillary Clinton n’était pas en reste. Elle a aussi remis en question le TPP. Elle s’était déjà distancée de NAFTA lors de sa campagne de 2008. « NAFTA n’a pas tenu ses promesses ! » avait-elle lancé.

Bref, quelle qu’aurait été l’issue de l’élection présidentielle américaine, le libre-échange n’avait aucune chance d’être dans le camp des vainqueurs.

La victoire surprise de Trump confirme la justesse de cette stratégie électorale. Et les analystes - qui n’y croyaient ou ne voulaient pas y croire -, se perdent toujours en conjectures : comment n’ont-ils pas vu tous ces Américains qui couvaient leur colère, s’estimant – à tort ou à raison - victimes de la globalisation ?

Une impression de déjà-vu : le phénomène était exactement le même lors du Brexit. Personne n’a vraiment voulu croire que le Royaume-Uni, champion du libéralisme économique, allait céder aux arguments souverainistes. Soudainement, une victoire du Front national en France ne paraît plus relever de l’utopie.

Rappelons aussi ces Wallons, qui ont tenu en otage pendant plusieurs jours l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (CETA).

Nous devons bien l’admettre : en Occident, la défense économique du pré carré national, - le retour à une sorte de grandeur ou de dignité perdues -, sont devenus les arguments politiques qui répondent le mieux aux frustrations de nombreux électeurs.

Et en Suisse ? La réalité c’est que ces signaux d’alarme sont apparus dans notre pays il y presque un quart de siècle déjà. Le coup de semonce remonte à la fin de 1992, quand le peuple a refusé l’accession de la Suisse à l’Espace économique européen. C’est vrai qu’à l’époque, la population craignait plutôt la perte de souveraineté qu’une globalisation encore trop abstraite pour la majorité des citoyens.

Rappelons-nous : à l’époque les médias et une très grande partie de l’élite économique suisses étaient à peu près aussi stupéfaits que les commentateurs américains la semaine dernière ou européens après le Brexit. La Suisse a alors réalisé que souveraineté et libre-échange entretiennent des relations complexes dont il faut tenir compte. On ne peut faire le bonheur du peuple contre son gré. Il faut savoir équilibrer.

Equilibrer. C’est sans doute le maître-mot dans toutes les discussions bilatérales que la Suisse a menées par la suite avec l’UE. L’adhésion de peuple était à ce prix. Nos accords bilatéraux avec l’Union européenne ont passé cette épreuve. Du moins dans un premier temps. Et même si nos accords internationaux ou de libre-échange ne sont qu’exceptionnellement soumis au référendum (- ils n’entrainent pas des révisions de notre droit interne -), nous savons toujours que nous devons avoir à l’œil les intérêts de tous nos citoyens – et tout particulièrement ceux de nos agriculteurs.

De douloureuses piqures de rappel sont à tout moment possibles. Comme par exemple lors de la votation du 9 février 2014. Pour la première fois, le peuple suisse a par son scrutin remis en cause un accord sur lequel il a déjà voté, exigeant des adaptations. La crise de 2008 est passée par là. Elle a malmené la confiance du public dans les décideurs et le libéralisme.

C’est indéniable : la globalisation contribue à la croissance économique. Mais de larges pans de la population restent sceptiques sur ce qu’elle leur apporte personnellement. Ils se sentent menacés par la concurrence des travailleurs étrangers et, - faute parfois de flexibilité et de formations adéquate -, ils se sentent exclus de la prospérité promise. Ils sont en outre desécurisés par la rapide transformation de leur environnement social, économique et technologique. Par exemple par la digitalisation.

La numérisation de l’économie offre certainement de nouvelles chances. Mais elle est aussi une nouvelle cause d’incertitudes, tant pour les citoyens que pour les décideurs. A mes yeux, la conséquence la plus frappante de la numérisation est la transformation d’entreprises industrielles classiques en sociétés de services (ex. Kaba, Rolls-Royce, Schindler) et la création de plateformes d’intégration de marchés (Airbnb, Uber, mais aussi Google) Mais dans la plupart des pays du monde on peine encore de prendre toute la mesure de ce que cette transformation signifie. Chance ou risque ? 

Nous ne sommes par conséquent pas encore vraiment au clair quelles incidences concrètes le bouleversement digital aura sur les régimes du commerce mondial. Cela incite beaucoup de pays à l’attentisme. On veut encore voir les contours se préciser avant de s’engager. Les débats virulents autour d’Uber ou d’Airbnb illustrent ces incertitudes. Mais le débat est en cours et notre prochain rapport sur la politique économique extérieure s’engagera dans cette réflexion. Je suis persuadé que nous ferons en temps voulu les bons choix.

Enfin - afin que ceci soit aussi dit - il est évident que le retour à une lecture géopolitique du monde que certains pays préconisent – je pense évidemment à la Russie – n’est pas favorable au développement de relations économiques apaisées. Et les sanctions ne sont évidemment qu’un aspect de la question : ce qui est mis à mal, c’est la confiance entre nations. Et je passe sur les conflits armés qui déstabilisent les équilibres économiques de régions entières.

Mesdames et Messieurs,

Dans ce contexte très difficile, chaque pays doit trouver sa voie. La Suisse va poursuivre la sienne. Car pour notre pays, le protectionnisme n’est pas une option. C’est bien connu : nous gagnons un franc sur deux à l’étranger. Oui, certains pays comme les Etats-Unis, la Russie, l’Inde ou voire même la Chine, pourraient éventuellement envisager cette possibilité parce qu’ils disposent d’un vaste marché intérieur (même s’il y aura un prix à payer.)

La Suisse par contre ne pourra défendre sa prospérité que si elle reste fidèle au libre-échange. Pour notre économie d’exportation, l’accès à moindre frais aux marchés mondiaux est une question de survie. Ceci d’autant plus en ces temps de franc fort, que les incertitudes du moment risquent de renforcer encore.

Et quand je dis que nous devons rester fidèles au libre-échange, cela comprend aussi l’ouverture à la libre-circulation des personnes. Nous avons une industrie de pointe. Elle est condamnée à l’innovation si elle veut maintenir sa place dans le monde. Cela exige les meilleurs spécialistes. Nous en formons beaucoup. Nous en formerons encore. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devons préserver la possibilité pour nos entreprises de les recruter, même à l’étranger. C’est le sens des efforts du Conseil fédéral depuis le 9 février 2014: piloter l’immigration, mais préserver les bilatérales.

Oui, c’est vrai : désormais c’est la solution du Parlement qui passe par la préférence indigène qui est au centre de l’attention. Le Conseil fédéral ne s’immisce à ce stade pas dans les travaux de l’Assemblée fédérale, institution politique suprême du pays sous réserve des droits du peuple.

Certains estiment désormais que le Conseil fédéral n’a pas su remplir sa mission. Mais ce que nous devons applaudir ici une fois de plus, c’est le génie des institutions politiques suisses. Chacune joue son rôle et ensemble elles contribuent à dégager une voie pour résoudre des questions graves et complexes. Oui, ce se sont des compromis. Mais la pureté idéologique débouche rarement sur des solutions viables. Alors attendons de voir quel sera la proposition finale à l’issue des débats, qui devra rester compatible à la fois avec l’accord sur la libre circulation des personnes et notre constitution.

Mais nous ne devons pas seulement préserver. En dépit des vents contraires, nous devons continuer à développer notre réseau d’accords de libre-échange. Et les signes ne sont pas si défavorables que cela.

  • Notre accord avec la Chine est un formidable succès. Nos entreprises saisissent les nouvelles chances offertes. Les maladies de jeunesse de l’accord sont peu à peu réglées en collaboration avec nos partenaires chinois. Les premières statistiques sont bonnes. Et les droits de douane vont encore diminuer…

  • Nous sommes aussi parvenus à revitaliser nos discussions dans le cadre de l’AELE avec l’Inde. Ma rencontre avec le premier ministre Modi ce printemps a donné un coup de pouce. Nos négociateurs ont repris le contact et, depuis, des rencontres ont eu lieu sur des questions spécifiques comme la sécurité des données. A la mi-octobre, un nouveau tour de négociations a eu lieu.  Nous voulons mener ces négociations à terme.

  • En ce qui concerne Mercosur (Argentine Brésil, Uruguay, Paraguay et Venezuela) l’AELE a achevé les discussions exploratoires et nous disposons des éléments cadres pour décider d’un mandat de négociation.

  • Nos discussions poursuivent aussi avec le Vietnam. L’AELE a soumis de nouvelles propositions au début octobre et ma secrétaire d’Etat a visité le pays à la même époque pour souligner notre intérêt à conclure un accord. Une nouvelle rencontre des négociateurs aura encore lieu cette année.

  • Pour l’Indonésie, nous visons un résultat dans le courant de 2017. La question de l’huile de palme constituera un point de discussion central, tout comme c’est actuellement le cas avec la Malaisie.

  • L'OMC bouge aussi. Lentement mais sûrement, En 2013 l’accord sur la facilitation des échanges a été conclu. En 2015 il a été suivi par l'expansion de l’accord plurilatéral sur les technologies de l'information. Et dans le secteur agricole une décision sur la concurrence à l'exportation a été prise.

  • Je m’attends aussi à une conclusion des négociations sur la libéralisation du commerce des biens environnementaux. Ceux-ci contribueront à la politique environnementale, en particulier pour l’accord sur le climat de Paris.

J’arrête ici cette petite revue que je pourrais prolonger. Vous voyez que des opportunités existent. La Suisse les saisira. Autant que possible en collaboration avec ses partenaires de l’AELE, si nécessaire bilatéralement comme cela a été le cas avec la Chine.

Le fait que beaucoup de ces discussions ont lieu en Asie ne doit pas nous surprendre. C’est peut-être vraiment un signe des temps que le flambeau du libre-échange est en train de passer dans cette région du monde. Elle a gagné plus que toutes les autres en s’ouvrant au commerce international.

Nous devrons aussi faire nos devoirs : nous devons en particulier poursuivre nos efforts dans le domaine de l’agriculture. Nous devons la rendre capable de s’affirmer sur des marchés internationaux ouverts. Ici, comme dans l’industrie, une orientation sur la qualité, les spécialités et l’innovation sont les critères décisifs.

Mesdames et Messieurs,

La question que j’ai posée en titre : libre-échange, déclin ou nouveau départ trouve ainsi sa réponse. Oui, le libre-échange-marque a reçu un coup de frein en Occident, torturé par le doute. J’ai bon espoir que ce ne sera que passager. Il faudra attendre les options concrètes que prendra la future administration Trump. De son côté, l’Union européenne, mais aussi le Royaume-Uni, ont clairement dit qu’ils resteront fidèle au libre-échange.

En attendant, la Suisse doit tout faire pour être là où de nouvelles possibilités sont créées. Nos places de travail et notre prospérité en dépendent. Et surtout les perspectives pour nos jeunes. Pour réussir, nous devons sans cesse expliquer les enjeux à notre population, accepter son jugement lorsqu’elle s’exprime et nous adapter en fonction. Nos institutions, notre culture de discussion et du compromis le permettent.

Nous devons aussi poursuivre nos efforts pour entretenir notre formation, notre recherche, notre capacité d’innovation et toutes les conditions cadres qui permettent aux entreprises de prospérer. Ouverts et compétitifs, nous pouvons tirer tous les avantages du libre-échange et de la globalisation. Je suis très fier de pouvoir servir notre pays dans cet effort. Et je poursuivrai ce travail sans relâche.

Je vous remercie pour votre attention.


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